Association « Les Sentiers »
Nouvelle-Calédonie, an 2023. Envoyée spéciale Lydia Hammou.
Pour cette nouvelle transhumance, la Nouvelle-Calédonie innove une fois encore. Rappelons que le pays remporte chaque année, et ce pour la sixième fois consécutive, le trophée TranshuPacific.
Bien plus qu’un trophée à défendre, il s’agit pour le « Caillou » de démontrer une capacité d’innovation sans limite et de faire preuve d’une infaillible ingéniosité.
Le jour tant attendu est arrivé. Je suis empressée de découvrir le programme de cette nouvelle transhumance. Comme de coutume, tous les détails sont tenus secrets et impossible d’obtenir le moindre indice avant le premier jour du voyage. Lequel arrive enfin! A mon grand étonnement, pas de réveil à l’aube. Personne ne s’active et, encore plus surprenant, personne ne s’inquiète de tant de nonchalance ! Me serais-je trompée de date ?
J’attends inquiète, à l’affût du moindre signe d’activités quand enfin, les cavaliers sellent les chevaux. Chapeau sur la tête, ils se regroupent et convergent vers l’enclos des vaches. Bien entendu, je suis derrière, la curiosité aiguisée par tant de mystères…Mais, qu’est-ce donc ? Je n’y comprends rien. D’énormes piliers, hauts de plus de 100m, servent à tendre un câble qui se perd à l’horizon. Au sol, des cabines. Les « stockmen » dirigent un groupe de huit vaches vers la première cabine. Je reste figée. Je viens de comprendre. Je m’approche de l’une d’elles. Les lunettes m’en tombent du nez ! Une étable volante !!!!! La transhumance se fera par voie aérienne.
Quelle délirante-époustouflante-incroyable idée ! Les vaches ne mettront que trois heures pour relier la côte Est à la côte Ouest !
Aux oubliettes fatigue, dangers et lourde organisation. Vive le téléphérique à vaches !
Jadis, six jours étaient nécessaires pour conduire avec des chevaux le bétail de Tiwaka à Voh. La période de l’année était minutieusement choisie. En général, aux alentours du mois de Mai car peu de pluie et une bonne température. Attendre la pleine lune, pour un maximum de visibilité, calmant ainsi les vaches dépaysées.
Les deux premiers jours étaient consacrés au trajet de deux chevaux de selle et un de bât de Voh à Tiwaka. Soit 19 heures de cheval. Au troisième jour, constitution de l’équipe de stockmen. Le lendemain, que de la logistique : choix des bêtes, approvisionnement alimentaire, équipement… Au lever du jour suivant, huit stockmen et trente bovins prenaient la route. Une rivière à traverser à demi-marée montante. Pas de courant, mais une hauteur d’eau gênante pour les jeunes bovins qui devaient nager. Premier arrêt pour déjeuner à la tribu de Pombeï. Le repas, lorsque cela était possible, était amené par voiture. Celle-ci apportait également le matériel nécessaire à la suite du voyage. Dans le cas contraire, le cheval de bât prenait le relais. Petite angoisse dans l’après-midi, deux passages à gué qui obligeaient le troupeau à avancer en file indienne. Suffisant pour ce cinquième jour, dodo aux roches de Pombeï. Mais encore fallait-il installer le campement ! Pour parquer le bétail pose du calicot, rouleau de tissu blanc de plusieurs mètres de longueur qui servait à construire une sorte d’enclos. La plus longue journée ! Au matin du dernier jour, lever bien matinal, ramassage du calicot, chargement du cheval de bât…Tous en route. Passage au centre de la tribu de Bopope avec l’accord préalable du chef. Toute une journée de marche avec de multiples petits arrêts sur la RT1. Une route simple et un ravitaillement par voiture possible. Ce qui constituait également un danger. Les voitures effrayaient les bêtes. Un stockman se déplaçait pour demander au chauffeur de se mettre de côté et de bien vouloir couper le moteur du véhicule, lorsque celle-ci venait de l’avant. Si elle arrivait de l’arrière du troupeau, le stockman allait à sa rencontre et lui demandait de le suivre pour dépasser le troupeau. Bien sûr, les chevaux montés n’avaient pas peur des voitures.
Voh pointait son nez, la rivière traversée marquait la fin de la route. Un voyage fastidieux, un périple dangereux et une organisation minutieuse, voilà ce qu’était la transhumance d’antan !
J’emploie le terme de transhumance pour désigner la migration du bétail de la plaine à la montagne ou de la montagne à la plaine. En Nouvelle-Calédonie, il est plus conforme de parler de « conduite de bétail ». Le but des soi-disant « transhumances » était de conduire les bêtes à l’abattoir. En 1854, le gouverneur autorise l’ouverture de boucheries sur Nouméa. La population s’accroissait, amplifiant les besoins en viande. Hors, le bétail était surtout produit en brousse. Les éleveurs descendaient alors les têtes de bétails de leurs propriétés vers la capitale par un itinéraire très précis appelé « le sentier des conduites de bétail ».
Ce sentier fut emprunté jusque dans les années 40. En effet, en 1942, les troupes américaines débarquaient en Nouvelle-Calédonie. La population se voyait tripler en quelques heures. La conduite de bétail était trop lente, les vaches ne pouvaient marcher qu’entre 30 et 35 km par jour ! Une solution plus efficace : construire des boucheries (aussi nommées « tueries ») sur toutes les propriétés du Caillou. Les bêtes abattues étaient ensuite acheminées sur Nouméa par quartiers entiers dans des camions bâchés. Des entrepôts frigorifiques pour conserver la viande furent construits dès la fin des années 50.
Tuer les bêtes avant de les déplacer marque la fin des transhumances. Plus de conduite de bétails, un sentier qui s’efface pour ne perdurer qu’en certaines mémoires…
La nouvelle association « Les sentiers » a pour but d’aider par des projets pays –à l’instar de « La première transhumance 2014 »- à la mise en valeur et à la conservation du patrimoine culturel calédonien. La « Transhumance 2014 » reproduira à l’identique ce qu’était autrefois « la descente de bétails ». Dans un désir de mémoire, de souvenirs et selon une volonté d’amélioration des liens sociaux, Frédéric Fayard fondateur de l’association « Les Sentiers » désire : « faire revivre ces moments de partage, de confiance, d’échanges quel que soit l’origine sociale ou l’histoire de la personne. Un simple contact humain qui semblait si naturel autrefois et qui se distend aujourd’hui », « l’idée traînait depuis longtemps mais difficile à mettre en œuvre, il s’agit d’une première…l’histoire de la descente comptée par les anciens et vécue aujourd’hui tel un évènement festif qui célèbre le patrimoine calédonien et qui aille au-delà d’une simple commémoration…»
Sources : site de l'OCEF
Contact : Association « Les Sentiers » ; @ : [email protected] ; tel : 80 99 05
Nouvelle-Calédonie, an 2023. Envoyée spéciale Lydia Hammou.
Pour cette nouvelle transhumance, la Nouvelle-Calédonie innove une fois encore. Rappelons que le pays remporte chaque année, et ce pour la sixième fois consécutive, le trophée TranshuPacific.
Bien plus qu’un trophée à défendre, il s’agit pour le « Caillou » de démontrer une capacité d’innovation sans limite et de faire preuve d’une infaillible ingéniosité.
Le jour tant attendu est arrivé. Je suis empressée de découvrir le programme de cette nouvelle transhumance. Comme de coutume, tous les détails sont tenus secrets et impossible d’obtenir le moindre indice avant le premier jour du voyage. Lequel arrive enfin! A mon grand étonnement, pas de réveil à l’aube. Personne ne s’active et, encore plus surprenant, personne ne s’inquiète de tant de nonchalance ! Me serais-je trompée de date ?
J’attends inquiète, à l’affût du moindre signe d’activités quand enfin, les cavaliers sellent les chevaux. Chapeau sur la tête, ils se regroupent et convergent vers l’enclos des vaches. Bien entendu, je suis derrière, la curiosité aiguisée par tant de mystères…Mais, qu’est-ce donc ? Je n’y comprends rien. D’énormes piliers, hauts de plus de 100m, servent à tendre un câble qui se perd à l’horizon. Au sol, des cabines. Les « stockmen » dirigent un groupe de huit vaches vers la première cabine. Je reste figée. Je viens de comprendre. Je m’approche de l’une d’elles. Les lunettes m’en tombent du nez ! Une étable volante !!!!! La transhumance se fera par voie aérienne.
Quelle délirante-époustouflante-incroyable idée ! Les vaches ne mettront que trois heures pour relier la côte Est à la côte Ouest !
Aux oubliettes fatigue, dangers et lourde organisation. Vive le téléphérique à vaches !
Jadis, six jours étaient nécessaires pour conduire avec des chevaux le bétail de Tiwaka à Voh. La période de l’année était minutieusement choisie. En général, aux alentours du mois de Mai car peu de pluie et une bonne température. Attendre la pleine lune, pour un maximum de visibilité, calmant ainsi les vaches dépaysées.
Les deux premiers jours étaient consacrés au trajet de deux chevaux de selle et un de bât de Voh à Tiwaka. Soit 19 heures de cheval. Au troisième jour, constitution de l’équipe de stockmen. Le lendemain, que de la logistique : choix des bêtes, approvisionnement alimentaire, équipement… Au lever du jour suivant, huit stockmen et trente bovins prenaient la route. Une rivière à traverser à demi-marée montante. Pas de courant, mais une hauteur d’eau gênante pour les jeunes bovins qui devaient nager. Premier arrêt pour déjeuner à la tribu de Pombeï. Le repas, lorsque cela était possible, était amené par voiture. Celle-ci apportait également le matériel nécessaire à la suite du voyage. Dans le cas contraire, le cheval de bât prenait le relais. Petite angoisse dans l’après-midi, deux passages à gué qui obligeaient le troupeau à avancer en file indienne. Suffisant pour ce cinquième jour, dodo aux roches de Pombeï. Mais encore fallait-il installer le campement ! Pour parquer le bétail pose du calicot, rouleau de tissu blanc de plusieurs mètres de longueur qui servait à construire une sorte d’enclos. La plus longue journée ! Au matin du dernier jour, lever bien matinal, ramassage du calicot, chargement du cheval de bât…Tous en route. Passage au centre de la tribu de Bopope avec l’accord préalable du chef. Toute une journée de marche avec de multiples petits arrêts sur la RT1. Une route simple et un ravitaillement par voiture possible. Ce qui constituait également un danger. Les voitures effrayaient les bêtes. Un stockman se déplaçait pour demander au chauffeur de se mettre de côté et de bien vouloir couper le moteur du véhicule, lorsque celle-ci venait de l’avant. Si elle arrivait de l’arrière du troupeau, le stockman allait à sa rencontre et lui demandait de le suivre pour dépasser le troupeau. Bien sûr, les chevaux montés n’avaient pas peur des voitures.
Voh pointait son nez, la rivière traversée marquait la fin de la route. Un voyage fastidieux, un périple dangereux et une organisation minutieuse, voilà ce qu’était la transhumance d’antan !
J’emploie le terme de transhumance pour désigner la migration du bétail de la plaine à la montagne ou de la montagne à la plaine. En Nouvelle-Calédonie, il est plus conforme de parler de « conduite de bétail ». Le but des soi-disant « transhumances » était de conduire les bêtes à l’abattoir. En 1854, le gouverneur autorise l’ouverture de boucheries sur Nouméa. La population s’accroissait, amplifiant les besoins en viande. Hors, le bétail était surtout produit en brousse. Les éleveurs descendaient alors les têtes de bétails de leurs propriétés vers la capitale par un itinéraire très précis appelé « le sentier des conduites de bétail ».
Ce sentier fut emprunté jusque dans les années 40. En effet, en 1942, les troupes américaines débarquaient en Nouvelle-Calédonie. La population se voyait tripler en quelques heures. La conduite de bétail était trop lente, les vaches ne pouvaient marcher qu’entre 30 et 35 km par jour ! Une solution plus efficace : construire des boucheries (aussi nommées « tueries ») sur toutes les propriétés du Caillou. Les bêtes abattues étaient ensuite acheminées sur Nouméa par quartiers entiers dans des camions bâchés. Des entrepôts frigorifiques pour conserver la viande furent construits dès la fin des années 50.
Tuer les bêtes avant de les déplacer marque la fin des transhumances. Plus de conduite de bétails, un sentier qui s’efface pour ne perdurer qu’en certaines mémoires…
La nouvelle association « Les sentiers » a pour but d’aider par des projets pays –à l’instar de « La première transhumance 2014 »- à la mise en valeur et à la conservation du patrimoine culturel calédonien. La « Transhumance 2014 » reproduira à l’identique ce qu’était autrefois « la descente de bétails ». Dans un désir de mémoire, de souvenirs et selon une volonté d’amélioration des liens sociaux, Frédéric Fayard fondateur de l’association « Les Sentiers » désire : « faire revivre ces moments de partage, de confiance, d’échanges quel que soit l’origine sociale ou l’histoire de la personne. Un simple contact humain qui semblait si naturel autrefois et qui se distend aujourd’hui », « l’idée traînait depuis longtemps mais difficile à mettre en œuvre, il s’agit d’une première…l’histoire de la descente comptée par les anciens et vécue aujourd’hui tel un évènement festif qui célèbre le patrimoine calédonien et qui aille au-delà d’une simple commémoration…»
Sources : site de l'OCEF
Contact : Association « Les Sentiers » ; @ : [email protected] ; tel : 80 99 05